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Dispositif d’apprentissage : transmettre la connaissance, activer l’acquisition
On assiste aujourd’hui à une augmentation des cours en ligne. On connait bien sûr les diverses formations du web sur le web mais, contexte oblige, on voit désormais divers enseignants adapter leurs contenus aux méthodes en lignes, tel ce cours de poterie qui pour continuer à préparer ses étudiants au CAP, propose des live de 3h tous les jours durant les semaines de confinement.
En effet la période actuelle est propice à de nouvelles expériences pédagogiques, à tenter de digitaliser ses activités et notamment celles liées à la formation.
Plus ces formations vont augmenter, plus il sera nécessaire à ces écoles de mettre en place un dispositif solide d’apprentissage encadrant l’acquisition des connaissances. Ce dispositif repose sur deux piliers :
– Transmettre la connaissance
– Activer l’acquisition de cette connaissance
Ces rôles sont répartis sur deux ingénieries : l’ingénierie pédagogique et le support d’aide à l’apprentissage.
Comment peut-on nouvellement penser notre manière d’enseigner et réussir ce passage du learning vers le e-learning ? Comment engager les apprenants dans ces formations ?
Faisons le point sur ces ingénieries, et voyons comment mettre en place un dispositif complet et efficace.
L’ingénierie pédagogique se définit comme « un ensemble de procédures pour développer des programmes de formation fiables et continus« . Plusieurs modèles pédagogiques existent pour mettre en place un dispositif permettant la transmission de connaissance: cela va de la salle de classe incarnée par l’enseignant aux modules auto-formatifs qui se retrouvent sur le web. Dans tous les cas, quelque soit le modèle choisi, on retrouve des étapes clés.
Tout d’abord une phase d’analyse des compétences et aptitudes de l’apprenant au regard des objectifs d’apprentissage. Cette analyse peut-être explicite1 ou alors intuitive comme dans une salle de classe.
La conséquence de cette analyse est obligatoirement une modification des exigences d’apprentissages pour s’aligner sur le niveau de l’apprenant, à la baisse ou à la hausse. Si cette modification n’est pas possible (dans le cas des modules auto-formatif où les apprenants ne croisent jamais l’auteur de la formation, au contraire de la salle de classe où l’enseignant est présent), alors l’étudiant doit se voir proposer une multitude de ressources et de médias complémentaires pour l’amener au niveau d’apprentissage requis.
Roue de Deming
Durant la formation, il y a, selon le dispositif mis en place, des systèmes permettant à l’apprenant d’évaluer ses acquis. Plus le dispositif est autonome, sans enseignant, plus les critères de validation doivent être fixés et pensés en amont, plus il est nécessaire d’avoir des tests tout au long du parcours pour garantir une excellente qualité des résultats. De même, plus l’apprenant est isolé dans son apprentissage, plus il faut ajouter de l’interaction afin de faciliter l’acquisition de la connaissance.
Et à la fin de la formation, on retrouve généralement un système de d’évaluation de performance et de contrôle du parcours afin de l’améliorer dans un soucis de progrès permanent.
Donc quelque soit le modèle ou la méthode choisie, une ingénierie pédagogique correctement pensée met en place l’ensemble des éléments dans son dispositif de transmission de connaissance. C’est la responsabilité qui lui incombe.
Néanmoins, pour aider l’acquisition de nouvelles connaissances, il est faut également stimuler le processus d’apprentissage. Et c’est le rôle du support d’aide à l’apprentissage de motiver l’apprenant dans ce sens.
Cette fonction est incarnée par le tuteur, le mentor ou le coach selon les modes et les plateformes. Sans entrer dans de grandes théories sur les nuances entre ces termes, appelons le mentor, en sens canadien du terme, c’est à dire un individu amener à aider la transmission de connaissance tout en créant une relation de confiance avec l’apprenant. Les verbes qui recouvrent ses actions sont : aider, écouter, enseigner, confronter, encourager, inspirer, partager et offrir2.
Dans L’ingénierie tutorale: Jacques Rodet3 propose de combiner les fonctions tutorales avec les plans de support à l’apprentissage à couvrir.
Fonctions tutorales et plans de support à l’apprentissage
Ce tableau explique bien que les différentes fonctions tutorales agissent à plusieurs niveaux auprès des apprenants :
– de l’accueil et orientation à aux responsabilités liées à l’évaluation
– de la technique aux problématiques propres à la motivation
Le rôle du mentor va devoir être aussi bien technique, pour éclaircir une notion du cours, qu’empathique pour briser l’isolement de l’apprentissage ou aider à l’autonomie de l’apprentissage4.
Si plusieurs de ces fonctions peuvent être prise en charge par l’administration, les pairs et/ou le système d’information (ex: accueil et orientation, encouragement, rétroactions formatives), le mentor ne peut être exclu du dispositif : il peut agir rapidement sur différents plans, aussi bien motivationnel que socio-affectif ou métacognitif. Une ingénierie tutorale doit mettre en place un dispositif complet d’aide à l’apprentissage, en envisageant toutes les interventions par l’ensemble des acteurs du scénario tutorial.
C’est l’équilibre de ces deux ingénieries, pédagogique et tutorale, qui permet de mettre en place un dispositif de transmission et d’activation de l’apprentissage cohérent.
Faire un bon café prend du temps11
Mettre en place un tel dispositif nécessite alors de grands investissements en temps.
Il y a d’abord le temps d’analyse et d’identification des besoins. Ce temps permet de cadrer la formation et d’affiner le besoin exprimé par le commanditaire pour le faire correspondre avec les réels besoins. Cela permet aussi de trier les objets pédagogiques qui vont être utilisé dans le dispositif de formation. Idéalement des méthodes design thinking sont adoptées pour créer votre dispositif au plus près des besoins de l’utilisateur final.5
Il y aussi le temps de conception des ressources : les activités d’apprentissage doivent nombreuses et diversifiés. Cela prend obligatoirement du temps de les concevoir et de les créer. Plus il y a d’activités différentes, plus le temps de production augmente. Dans sur un modèle elearning, les formateurs étant absents, ces activités ne peuvent pas être improvisées, elles nécessitent donc plus de préparation.
Ces deux temps ne se succèdent pas obligatoirement. Ils n’ont pas l’absolue obligation de précéder la formation. Mais ils doivent être présents et anticipés même dans un projet fonctionnant de manière itérative.
Et l’ingénierie tutorale n’est pas épargnée. Ayant la charge des différents outils de remédiation, des animations de groupe, etc., elle exige un investissement similaire. Ce qui implique que le temps de la formation doit être étalée pour permettre aux différents processus d’apprentissage d’être efficients : au lieu de concentrer l’apprentissage sur une semaine, le temps d’apprentissage peut-être étalé sur trois semaines afin de laisser à l’apprenant mémoriser l’ensemble de la connaissance.
C’est en négligeant ce temps que le taux d’abandon augmente.
En négligeant le temps de l’analyse du besoin, on risque d’avoir des objectifs ne formation qui ne sont pas phase avec les objectifs de l’apprenants. Plus on va prendre le temps de positionner l’apprenant en amont, plus on fera coïncider les besoins et les compétences de l’apprenant avec les objectifs de la formation, plus ce dernier sera motivé, plus il sera engagé.
C’est l’un des premiers soucis rencontré sur les MOOCS. Ils sont ouverts à tous, mais proposent très peu une phase de positionnement permettant de mettre en adéquation les objectifs de l’apprenant avec ceux de la formation.6
Répondre au besoin en contenu n’est pas suffisant, il faut aussi que le formation corresponde exactement au besoin en terme de timing. Et ça devrait être l’un des atouts du elearning de pouvoir proposer de l’apprentissage tout au long de l’année. Or on voit encore des organismes proposant des formations à des dates précises créant une contrainte supplémentaire pour l’apprenant.
Si la création des activités d’apprentissage est essentielle, c’est qu’elle permet de diversifier les activités d’apprentissage. Plus le cadre pédagogique sera varié, plus il sera possible de maintenir la motivation des apprenants. Si les formations actuelles continuent de ne proposer que des modèles descendants avec un cours tout juste filmé, elles ne s’adresseront alors plus qu’à une élite, déjà formée et autodidacte.
Pire certains systèmes ne proposent aucun moyen d’évaluation tout au long de l’apprentissage et se contentent de diffuser une vidéo en guise de cours. La prolifération des « tutos » devient un escroquerie où la démonstration remplace l’enseignement avec pour leurre l’idée que comprendre est apprendre.
Alors pour palier à ces abandons il y a plusieurs solutions à mette oeuvre.
Il s’agit tout d’abord d’accompagner les étudiants, et comme pour la phase d’apprentissage, cela nécessite du temps en amont. Si ce n’est pas suffisamment préparé, le risque est de se retrouver avec ce que Jacques Rodet appelle le « tuteur-orchestre ». « Le choix d’un tuteur orchestre par l’institution tient malheureusement plus de l’improvisation ou de la nécessité […] . La figure tuteur orchestre a donc pour principal inconvénient pour l’institution de ne pas l’amener à penser de manière approfondie le tutorat, de sous-estimer l’effort des tuteurs, de transférer la responsabilité de la qualité du tutorat seul au tuteur […] »7.
En effet, dans les systèmes auto-formatif, si l’ingénierie pédagogique est défaillante, on voit un glissement s’opérer vers l’ingénierie tutorale, et le tuteur-orchestre se retrouve à endosser le rôle de l’enseignant pour palier aux manques du dispositif d’apprentissage. Il pallie le manque de ressources, leurs diversités et le positionnement de l’apprenant.
D’un côté l’ingénierie pédagogique doit proposer une analyse des besoins de l’apprenants (niveau, opportunité), une granularité dans la dispensation du contenu de la formation, une souplesse dans l’accès aux ressources et une personnalisation efficace.
De l’autre l’ingénierie tutorale doit mettre en place un scénario d’accompagnement avec des activités de groupe pour de briser l’isolement et des activités pédagogiques pour activer l’apprentissage, et permettre la remédiation. Toutes les formes d’interventions tutorales doivent être prévues en amont afin de garder la motivation de l’apprenant active dans son apprentissage8.
Un tel dispositif, éprouvé, permet de réduire significativement le taux d’abandon.
Et le numérique peut proposer plusieurs solutions allant dans ce sens pour optimiser ce travail.
A l’ère du numérique, on peut s’attendre à diverses solutions pour automatiser une partie des tâches et permettre une personnalisation du parcours.
Le machine learning, déjà utilisé dans ce domaine, va contribuer à changer le elearning. Il est désormais possible d’analyser les compétences d’un étudiant, de le positionner correctement face à des objectifs d’apprentissage, et de lui proposer diverses ressources complémentaires pour palier aux prérequis manquants. La personnalisation du contenu d’apprentissage est facteur clé de réussite.9
De même, en terme d’accompagnement technique, au niveau de la remédiation, un système performant devrait être en mesure de proposer des cours supplémentaires soit pour pousser des étudiants ayants des facilités, soit pour aider ceux en difficulté. Les feedbacks, remédiations doivent être instantanés et personnalisés.
On a expliqué l’importance de la diversité des ressources. Composés aujourd’hui essentiellement de textes et de vidéos, il faut qu’elles intègrent aussi bien des conférences, que des activités collectives et ludiques comme des serious games, escapes games ou quizz ludiques collectfis, sessions individuelles de mentorat, etc.
Bien entendu on imagine ces ressources disponibles facilement, partout, et découpées en micro-cours. Ce sont les concepts de mobile learning et de granularité. En étant plus proche des besoins des utilisateurs (dans leur mode de vie privée et professionnelle), on créera davantage d’engagement et donc moins de risque d’abandon.
Finalement ces solutions ne sont pas très éloignées des méthodes employées en présentiel. Et le contenu à enseigner est d’ailleurs le même. La valeur ajoutée du numérique passe par sa capacité à pouvoir traiter en masse des étudiants, à être accessible en permanence, sur toute la planète10 et à terme de pouvoir proposer une intelligence artificielle d’accompagnement et de soutien dans l’apprentissage.
Cela nécessite du temps, et comme nous l’avons précisé ce temps à une valeur comptable. Il est donc intéressant pour ces écoles, formations en ligne de déterminer ce qu’elles veulent.
Qu’elles démarrent aujourd’hui rapidement par des vidéos, « en mode tuto », est une chose. Mais cette solution n’est pas pérenne et vouée à l’échec sous le poids de l’abandon. Elles ont besoin de mettre en place rapidement l’ingénierie pédagogique et un mentorat ad hoc pour accompagner l’étudiant et permettre aux enseignants d’améliorer l’expérience étudiante. C’est en investissement dans le temps, dans la durée, dans l’engagement humain, que ces écoles et formations pourront fournir continuellement un enseignement de qualité.
Si tel est leur objectif.
Désirent-elles améliorer l’éducation, transmettre la connaissance ou une monétiser leur savoir ? Préfèrent-t-elles des têtes bien faites ou des poches bien pleines (et un taux d’abandon proportionnel).
Ce qui est le plus complexe dans une formation à distance n’est pas le contenu mais l’animation de l’apprentissage. Cela remet au centre le rôle de l’enseignant, du mentorat. A l’instar du manifeste agile propre au web, les contacts humains doivent prévaloir sur les process et la documentation. A méditer.
1 Vous trouverez plusieurs modèles d’ingénierie pédagogique dans l’ouvrage de Gustafson and Branch, Instructional Design, « a system of procedures for developing education and training programs in a consistent and reliable fashion » (p 17)
2 Cécile Auclair, Nancy Laferrière, “Une expérience à vivre : le mentorat | consultation en métiers d’art”, p.4 Editions: Conseil des métiers d’art du Québec
3 L’ingénierie tutorale: définir, concevoir et diffuser et évaluer des services d’accompagnements des apprenants d’un digital learning, Jacques Rodet
4 idem
5 Un exemple de Design Thinking appliqué à la création de parcours de formation, les Learning Battle Cards https://www.youtube.com/watch?v=KyYoGqgtuN8, présentation de Sylvain Vacaresse pour Learning Salad http://www.learningbattlecards.fr
6 Interview de Sylvain Vacaresse, Pourquoi le taux d’abandon est-il fort dans la formation en ligne ? https://www.youtube.com/watch?v=rmrX6dOrfNU
7 Jacques Rodet, Inconvénient de la figure du « tuteur-orchestre », Blog de t@d
8 Interview de Sylvain Vacaresse, Doit-on accompagner les apprenants ? https://www.youtube.com/watch?v=0GaTn_V69kM
9 Interview de Sylvain Vacaresse, La formation digitale est-elle efficace ? https://www.youtube.com/watch?v=weQ_fUCYG7c
10 Ou presque. Les étoiles d’Elon Musk qui passent dans le ciel sont la promesse d’une couverture complète à moyen terme.
11 Ressources hippie et récréative où Bababear explique quel sens donner à son café quand on le torrifie soi-même. Une métaphore sur le temps qu’on devrait accorder dans la transmission de connaissances.
NB : Toutes les images sont disponibles sur pixabay.com. Excepté le premier schéma qui une création personnelle … à partir de dessin de freepik.com 😉
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